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Qui est la reine Pédauque ?

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Qui est la reine Pédauque ?

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Comment une reine légendaire d’Occitanie est-elle parvenue jusqu’au pied de la colline de Corton non sans avoir croisé les pas d’Anatole France ? Le chemin passe par le bouillonnant Pierre André, négociant à Aloxe-Corton

« Il était une fois en Occitanie, un roi nommé Marcellus, homme cruel. Il avait une fille unique nommée Austris, aussi pleine de douceur qu’il était lui- même plein de rudesse. Elle brillait tant par sa modestie et sa bonté, que le peuple toulousain l’entourait de vénération. Dieu ne voulut pas qu’une créature aussi vertueuse embrassât le culte païen, aussi lui envoya- t- il une lèpre. La princesse devint affublée de pieds palmés ou pattes d’oie (La lèpre entraînant des affections cutanées pouvant faire penser à la peau des pattes de palmipèdes).
D’où son nom : « pè d’auca » en occitan signifie « pied d’oie ». Elle fit appeler saint Saturnin et lui demanda de lui rendre la santé moyennant quoi elle recevrait le baptême. Elle reçut le sacrement avec une piété fervente et fut guérie. »

Le pied d’oie est une particularité qu’Austris partage avec d’autres personnages historiques comme la reine Bertrade de Laon, plus connue sous le nom de Berthe au grand pied ou légendaires comme la reine de Saba : Reine d’un pays merveilleux mais qui adorait le Soleil. Le récit de ses richesses suscita la convoitise de Salomon, il affréta un navire pour la faire venir dans son royaume. A son arrivée,
Salomon la reçut dans un palais de verre ; il y avait de l’eau en
Dessous, et croyant qu’il fallait traverser une rivière, la Reine leva son
Vêtement, laissant alors apparaître un pied palmé. La magie tomba aussitôt !

Elle est aussi bergère, aussi belle que vertueuse, qui voulant échapper aux assiduités de son seigneur païen, demande à Dieu de lui envoyer cette infirmité.

Des légendes entourant la reine Pédauque circulent dans la France entière. A Dijon,
En 1728, durant son premier voyage à Dijon, l’abbé Lebeuf visita l’abbaye de Saint-Bénigne. Il remarqua particulièrement le portail à statues-colonnes, où une femme était figurée : le front ceint d’une couronne et un de ses pieds palmé comme ceux des oies. Cette figure était connue de toute la ville sous le nom de « Reine Pédauque ».

Cette particularité serait aussi une manifestation de l’hérésie. En effet aux XI et XII, on associe les pieds du corps aux ailes de l’âme, des images évoquant les pieds les pieds de l’âme voyageant vers Dieu sont très répandues.
Une blessure ou une malformation d’un pied, (le gauche presque toujours) empêche d’avancer sur la voie tracée par le christ et entrave l’âme. Que l’on songe au rejet dont étaient victimes les personnes atteintes d’un pied bot. Les reines Pédauque feraient elles parties ces victimes ?

Reine ou bergère, l’étrange personnage n’a cessé de fasciner les esprits.

Le Reine Pédauque donnera son nom à un restaurant parisien ou se croisaient des personnalités du monde artistique et politique. Anatole France y avait ses habitudes et en fera le siège d’un roman (la reine Pédauque paru en 1893). Les vins de Pierre André, négociant à Aloxe Corton régalent cette clientèle venue du monde entier.
Il s’était établi en Bourgogne après avoir acheté en 1927, « le château aux tuiles jaunes » comme le désignaient les aloxois. L’achat s’était fait par télégramme et sans possibilité de le visiter « peu importe je suis bourguignon disait-il ». Très entreprenant, Il développe de nouvelles méthodes de vente, crée des usages nouveaux et établi des réseaux de représentants pour la clientèle particulière tant en France qu’en Europe. A moins de 40 ans, cet orphelin, élevé par ses tantes dans un milieu social très modeste, a pris de court les dynasties locales du vin sur leurs propres terres et avalé tour à tour certaines propriétés renommées.
Pierre André rachète en 1938 le prestigieux restaurant « la reine Pédauque » sur un coup de tête, le sang de la Bourgogne est désormais dans le cœur du tout Paris. Pierre André créé sa marque : le « Bourgogne Reine Pédauque ». La reine Pédauque prend pied dans le monde du vin et l’histoire démontrera que son pied palmé n’a été en rien un handicap.
La guerre et ses vicissitudes freine quelque peu l’activité de l’entreprise.
Au sortir de la guerre les affaires reprennent ,pressentant l’ère de la grande distribution, Pierre André commerce avec les grossistes.
Travailleur infatigable, Pierre André prend peu de vacances mais il aime la montagne et rêve de faire l’ascension du mont Blanc. En 1949 Il s’y essaie mais doit y renoncer son cœur lui manifeste un affolement inhabituel. Qu’importe, à son retour en plaine, il apprend que l’achat de l’hôtel Briant porte Saint Nicolas vient d’être conclu. Il ne l’a pas visité mais à son habitude, faisant une totale confiance à son collaborateur, il la laissé libre de mener à bien la transaction. Désormais c’est dans sa cave exposition qu’il atteindra des pics…de fréquentation !
Cette belle maison en pierre de 1807, a été tour à tour relais de poste (on dit que Napoléon 1er y fit une halte en galante compagnie au retour de son exil à l’Isle d’Elbe), établissement de bains puis hôtel enfin maison de vins (la maison Motoy).
Pierre André développe un hall d’exposition, c’était la première fois qu’un négociant beaunois ouvrait ses caves au grand public. L’entrée était gratuite, les ventes permettaient de payer la dégustation, on prévoyait même de déguster un vin cuit en fin dégustation afin de flatter le palais féminin. Les visiteuses acceptaient alors volontiers les achats de leur mari à condition qu’une bouteille de ce vin fasse partie du panier. Le succès est au rendez-vous, des milliers de groupes se succèdent. Le 14 juillet 1963, on enregistre le record de 3000 entrées. Bousculant les habitudes et ignorant les critiques, La reine Pédauque devient un incontournable dans le paysage beaunois. Pierre André passera le flambeau de l’entreprise à son gendre Mr Gabriel Lioger D’Ardhuy en 1955, qui le passera lui-même son gendre Mr Denis Santiard.

La visite commençait dans le grand hall ou cuves en bois et pressoirs évoquaient les différentes étapes de la vinification. Puis le visiteur descendait dans la cave ou l’attendait une superbe table ronde faite en pierre de Bourgogne (Comblanchien et Chassagne). Les nuances colorées de ces pierres donnaient à cette table une allure de soleil : le soleil de la cave déployant sur ses rayons les noms des plus prestigieux nectars .Un jour une visiteuse outre Rhin s’exclama « c’est la table de mon mari » .Elle raconta que son mari avait été prisonnier de guerre et envoyé chez un maçon ,il se souvenait avoir monté une table en pierre de Bourgogne pour un négociant beaunois .Le soleil de la cave et sans doute le bon vin ,avaient réconcilié les ennemis d’autrefois .
Denis Santiard sourit en évoquant de l’histoire de cette religieuse helvétique retrouvée en train de se laver les mains … dans les urinoirs (pas sûr qu’elle en connaissait l’usage). Confuse elle expliqua que l’endroit était tellement bien tenu qu’elle pensait qu’il s’agissait du lavabo. Me Mozzo, femme de service, prenait très au sérieux l’entretien de la maison. Aucun endroit n’échappait à ses mains expertes, et la religieuse y avait retrouvé de la propreté suisse.
A partir des années 2000, l’horizon se couvre quelque peu. Les visites oenotouristiques se multiplient. Le public avide d’authenticité privilégie l’achat à la propriété.
Les familles Lioger d’Ardhuy et Santiard recentrent leurs activités sur leurs domaines viticoles.
La Reine Pédauque est cédée au groupe Ballande (la famille restant propriétaire des lieux).
Les nouveaux acquéreurs ne sauront pas continuer dans cette lignée et recéderont l’affaire à un autre groupe sans plus de succès. La maison est actuellement vide et attend son repreneur.
La Reine Pédauque doit se sentir bien seule dans ces caves ou tant de visiteurs ont pu connaitre ce qui fait notre fierté de bourguignons, elle qui arborait fièrement cette maxime
« La cave c’est ce lieu de manières et de paroles polies ou si le savoir-vivre disparaissait dans le monde on le trouverait encore là «.